Croissance verte, de quoi parle-t-on ?

Au commencement est l’énergie

L’énergie c’est ce qui permet de transformer, de faire bouger, d’animer.

Elle est partout (dans l’air, l’eau, les atomes, la faune, la flore, la terre, …) et tous les êtres vivants sans exception capturent de l’énergie pour se développer et perdurer. Les végétaux par exemple emmagasinent l’énergie par photosynthèse.

« En fait, c’est très simple : dès que le monde qui nous entoure change, de l’énergie entre en jeu et la mesure de cette énergie mesure le degré de transformation entre avant et après » Jean-Marc Jancovici.

Plus la transformation est importante et plus il y a besoin d’énergie pour faire aboutir le processus.

Une humanité accros aux énergies …

Dans les civilisations industrielles qui sont les nôtres, l’énergie joue un rôle central.

« L’humanité a utilisé de plus en plus d’énergie alimentant des machines pour extraire (énergie mécanique), transformer (énergie chimique), travailler (énergie mécanique), et déplacer (énergie du mouvement) les ressources minérales ou biologiques qui composent les objets de toute nature que nous avons à notre disposition, y compris les « gros » objets comme les immeubles, voitures, usines, infrastructures, …

Nous avons utilisé de plus en plus d’énergie pour mettre en mouvement les machines à transporter (automobiles, camions, trains, avions, bateaux) et nous avons utilisé de plus en plus d’énergie pour chauffer ou refroidir les espaces « coupés de l’environnement extérieur » que nous avons construits (les bâtiments) »1 Jean-Marc Jancovici

… fossiles

Or, cette énergie qui permet à nos sociétés de fonctionner est à 80% issue de la combustion de ressources fossiles (pétrole, charbon, gaz) à l’origine de l’émission de CO2.

Donc en synthèse, il faut garder à l’esprit cette équation importante : nos modes de vie actuels, gourmands en énergie, sont émetteurs d’énormes quantités de CO2. Et notre consommation d’énergie augmente :

https://ourworldindata.org/grapher/global-primary-energy

En 2018, les principaux gaz à effet de serre*, à l’origine du réchauffement climatique, ont donc ainsi franchi de nouveaux records de concentration. Et il n’y a aucun signe de ralentissement, et encore moins de diminution.

*CO2 (dioxyde de carbone), CH4 (méthane), protoxyde d’azote (N2O)

Une prise de position de l’exécutif européen

En Europe, les eurodéputés ont décrété l’état d’urgence climatique le 28 novembre 2019.

La nouvelle présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté le 11 décembre dernier son projet de « pacte vert », dessinant les lignes directrices de la politique climatique européenne. Faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone d’ici 2050, telle est l’ambition.

Concernant l’agenda, la toute première loi européenne sur le climat sera proposée au vote par la commission en mars 2020.

L’UE affiche par ailleurs une volonté de réduction des émissions des pays membres de 50 à 55% d’ici 10 ans. L’ensemble des domaines économiques sont concernés : industries, transports, agriculture, constructions

« Le pacte vert pour l’Europe que nous présentons aujourd’hui est la nouvelle stratégie de croissance inclusive de l’Europe. Il permettra de réduire les émissions, tout en créant des emplois et en améliorant notre qualité de vie, sans oublier personne »

Une question se pose pourtant à la lecture de cette déclaration. Que signifie « croissance inclusive » ? Peut-on prétendre parler de croissance, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre ? Dans quelles conditions ?

La croissance verte est-elle possible ?

Commençons par préciser simplement ces 2 termes juxtaposés.

Posons que par “verte” on entend une croissance respectueuse de l’Environnement. Qui se ferait sans impact net négatif en émissions de CO2 ou en consommation de ressources non renouvelables.

Posons aussi que par “croissance” économique, on entend une augmentation de la richesse produite disponible. Richesse qui va permettre, d’augmenter le niveau de consommation de biens et de services par les personnes qui en bénéficient. Et qui par conséquent, dans la mesure où ces biens et services sont rendus possibles par de la consommation d’énergie, augmentent les émissions de CO2.

Donc ici, l’appréciation d’une “croissance” dépend du périmètre d’observation : local ou global.

Une croissance “locale”, d’une meilleure répartition de la richesse produite donc à somme constante, ne serait pas aussi problématique si tel est le propos soutenu par l’UE dans son terme “croissance inclusive”. Mais on peut en douter.

Il s’agit donc de déterminer si on peut augmenter la richesse disponible sans détériorer l’Environnement.

L’idée d’une croissance verte repose sur ce postulat : la possibilité d’un découplage entre la croissance économique (mesurée par la hausse du PIB) et l’impact environnemental (mesuré par les émissions de CO2, entres autres, et la consommation de ressources naturelles).

Si on met en œuvre cette croissance sans changer nos modes de vie, on voit donc vite arriver des obstacles évidents à ce que cette croissance soit “verte”. Et ceci pour les raisons suivantes : 

La hausse des coûts énergétiques.

De la croissance c’est plus de consommation. C‘est donc une augmentation de nos besoins en matières premières. Or les ressources en matières premières sont comptées. Une fois extraites et transformées, elles ne sont plus disponibles. Par ailleurs, extraire des matières premières consomme de l’énergie. Donc émet du CO2.

Et ce phénomène s’accélère car lors de l’extraction d’une ressource, les options les moins chères sont utilisées en premier. Extraire les stocks de ressources restants demande ensuite toujours plus d’énergie. Par ailleurs, il faut bien avoir à l’esprit que le recyclage ne fait que retarder l’échéance de l’épuisement des stocks. Et qu’il consomme lui aussi de l’énergie. Donc émet du CO2.

L’effet rebond 

Les améliorations d’efficience énergétique sont souvent compensées par une réallocation des ressources économisées. Exemple : une voiture moins gourmande en énergie est utilisée plus souvent, annulant ainsi le gain écologique initial.

L’effet rebond génère aussi des changements structurels dans l’économie qui pousse à plus de consommation. Exemple : ces voitures moins gourmandes en carburant renforcent les systèmes de transports fondés sur la voiture (développement d’axes routiers) au détriment d’alternatives plus durables comme les transports en communs.

Le déplacement des problèmes 

Les solutions technologiques à un problème donné créent souvent de nouveaux problèmes ou en aggravent d’autres. Exemple : la production de voitures électriques exerce une pression sur les ressources en lithium, cuivre et cobalt. En plus d’épuiser ces ressources, leur extraction va consommer de l’énergie. Donc émettre du CO2.

Le déplacement des émissions 

Ce qui a été qualifié de découplage dans certains cas n’était souvent qu’un découplage artificiel, résultant principalement d’une externalisation de l’impact environnemental de pays à forte consommation vers des pays à faible consommation. Exemple : les délocalisations de la production de biens de consommation des pays riches vers les pays pauvres. Puis leur ré-exportation vers les pays riches. Cette production et ce transport vont nécessiter de l’énergie. Donc émettre du CO2.

Une baisse du PIB réglerait-elle le problème ?

Le problème c’est le temps !

Une très récente étude2 en date de 2019 a examiné les politiques de croissance verte telles qu’énoncées dans les principaux rapports de la Banque Mondiale, de l’OCDE et du Programme des Nations Unies pour l’Environnement.

En ce qui concerne l’empreinte matérielle, les résultats montrent qu’il n’y a toujours pas de découplage absolu à l’échelle mondiale, même dans des conditions très optimistes.

Les résultats reposent sur l’hypothèse d’une croissance actuelle du PIB d’environ 2 à 3% par an.

Ils estiment qu’ils pourraient être possible d’obtenir des réductions absolues de l’utilisation des ressources avec une croissance du PIB inférieure à 1% par an. Toutefois, pour parvenir à des réductions suffisamment rapides pour atténuer le réchauffement climatique, il faudra des stratégies de décroissance.

Pour les émissions de CO2, la question est de savoir si nous pouvons réduire les émissions assez rapidement pour rester dans les budgets carbone pour 1,5°C ou 2°C, comme le prévoit l’Accord de Paris. Les chercheurs affirment que des réductions d’émissions conformes aux 2°C ne sont possibles que si la croissance du PIB mondial ralentit à moins de 0,5 %. De même, ils indiquent que les réductions pour 1,5°C ne sont possibles que dans un scénario de décroissance.

Ces résultats se maintiennent même dans des conditions politiques optimistes, avec des taxes élevées sur le carbone et des taux rapides d’innovation technologique.

En d’autres termes, bien que nous ayons besoin de toutes les interventions politiques gouvernementales et de toutes les innovations technologiques que nous pouvons obtenir, toute tentative réussie de réduction adéquate des émissions exigera qu’au moins dans un premier temps nous réduisions la demande énergétique globale.

Fort de ces éléments de réflexion on peut raisonnablement douter qu’une croissance qui n’aggrave pas la crise environnementale soit possible sans changer nos habitudes.

Ces thèses commencent à se frayer un chemin dans les sphères économiques dominantes. Dans Les Echos, l’éditorialiste économique Jean-Marc Vittori écrivait récemment : « La croissance verte n’existe nulle part. Nos vies devront radicalement changer. Nous ne savons pas découpler production et émissions de gaz à effet de serre ». Cette prise de position est inédite pour un journal d’orientation libérale.

Et en ce début d’année, l’Agence Européenne de l’Environnement déclarait : « Il n’y aura pas de respect des limites planétaires sans remettre en cause l’idéologie de la croissance ». 

Les énergies renouvelables sont-elles une alternative crédible ?

C’est une évidence. Si on produit de l’énergie à partir de sources renouvelables et gratuites (eau, vent, soleil), qui n’émettent pas de CO2 en phase de fonctionnement, par substitution à de la production à partir d’énergie fossile qui elle en émet, alors on trouve là un élément de solution.

Encore faut-il garder à l’esprit qu’il faut construire les capteurs de ces énergies gratuites. Et pour construire ces capteurs il faut des ressources, de la transformation, du transport … bref de l’énergie. Qui émet du CO2.

C’est donc aussi une évidence de réaliser que ça ne suffit pas.

Il est tout aussi évident que malgré leur formidable essor, la part actuellement faible des énergies renouvelables dans le total nous enseigne que leur utilisation massive va prendre du temps. Beaucoup de temps. Trop de temps dans le calendrier qui nous est donné pour limiter le réchauffement climatique.

Et l’accès à d’autres formes d’énergie relève encore aujourd’hui de la recherche. Elles pourront peut-être déboucher un jour ou l’autre sur de nouvelles technologies moins émettrices de CO2. Mais encore une fois, dans le calendrier qui nous est imparti, il n’est pas raisonnable de s’en remettre à cette voie. 

Ce qu’il faut donc comprendre en synthèse c’est que conserver nos modes de vie fortement énergivores et fortement consommateurs de ressources naturelles est incompatible avec la préservation de l’Environnement.

Il faut donc opérer des changements et faire décroitre notre consommation d’énergie.

Quels leviers d’action à l’échelle nationale ?

Individuellement et collectivement, que peut-on faire ?

A l’échelle individuelle 

Rappelons au préalable que l’empreinte carbone moyenne d’un français est de 10,8 tonnes équivalent CO2 et qu’elle devrait descendre à environ 2 tonnes équivalent CO2 d’ici 2050 pour être compatible avec la limite des 2°C des Accords de Paris.

  • Acheter d’occasion et reconditionné, consommer local, privilégier le vélo pour les trajets courts, favoriser le covoiturage, prendre moins l’avion, adopter un régime alimentaire à base de produits locaux et moins carnés, idéalement végétarien, … : baisse de 10% des émissions.
  • Rénovation thermique de l’habitat, changement de chaudière, … : baisse de 10% des émissions

A l'échelle collective

Notons pour commencer que les individus n’ont ni emprise ni pouvoir de décision à leur niveau sur les infrastructures et les services qu’ils utilisent et qui sont énergétivores. C’est pourtant à ce niveau là que se joue l’essentiel du combat à mener. Les leviers à activer relèvent alors des entreprises et des pouvoirs publics.

  • Décarboner l’industrie, l’agriculture, le fret de marchandises, les services, la production d’électricité, déployer des énergies bas carbone, … : baisse de 80% des émissions.

En conclusion

Nos sociétés industrielles doivent faire le deuil du mythe d’une croissance perpétuelle, néfaste pour la planète.

Nous devons à présent tenter d’atténuer un chaos climatique face auquel nous devons engager rapidement une sortie des énergies fossiles et accepter que ce changement s’accompagne de mesures de sobriété énergétique et de freins au système productiviste.

Sources :

1. https://jancovici.com/transition-energetique/l-energie-et-nous/lenergie-de-quoi-sagit-il-exactement/
2. https://www.uab.cat/web/news-detail/is-green-growth-possible-1345680342044.html?noticiaid=1345790216053

Pour aller plus loin :

https://reporterre.net/La-croissance-verte-est-une-mystification-absolue
https://theconversation.com/entre-croissance-du-pib-et-respect-des-engagements-climat-il-faut-choisir-64343
https://www.payot.ch/Detail/les_limites_a_la_croissance_dans_un_monde_fini-donella_meadows-9782374250748

 

 

 

 

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